Partout à travers le monde, les projets miniers se multiplient. Dans ce secteur d’où peu d’informations parviennent, les violations de droits humains continuent, et leurs défenseurs sont durement réprimés.
Société
8min
Publié le 20 janvier 2025
Publié le 20 janvier 2025
Jessica Stephan
Actes de violence, pollutions bafouant le droit à vivre dans un environnement sain, non-respect du consentement libre et éclairé des peuples autochtones pourtant garanti par le droit international, droit des travailleurs… Le secteur minier porte atteinte aux droits humains, partout sur la planète.
Le peu d’informations qui filtre des sites miniers et de leurs alentours en dresse un portrait déjà bien sombre. Selon l’ONG Global Witness, entre 2014 et 2024, 1881 défenseurs des droits auraient été assassinés tous secteurs d’activité confondus, mais 16% de ces meurtres sont associés aux industries extractives: le pétrole, le gaz… et les mines.
«Il y a des dizaines de milliers de sites miniers dans le monde. Tous les pays sont concernés et les pays dits occidentaux ont une activité intense, dans leurs propres États ou en extérieur par l’intermédiaire d’entreprises qui sont basées chez eux», rappelle Aurore Stéphant, ingénieure géologue minière, spécialisée dans les risques associés aux filières minérales, de l’association SystExt (Systèmes extractifs et environnements). Un secteur tentaculaire et stratégique.
Un secteur opaque qui pèse lourd dans les violations de droits humains
L’industrie minière est partout, pourtant peu de données circulent. Aurore Stéphant le déplore: «C’est quand même incroyable: cette industrie représente un poids gigantesque, en termes financiers et industriels, mais c’est un secteur que, collectivement, l’on connaît très peu.» Désormais salariée de SystExt après avoir travaillé dans le secteur, elle relaie l’alerte de chercheurs «sur le peu de données dont on dispose lorsqu’il est question d’industrie minière, en particulier sur les impacts et les violations de droits humains qui lui sont associés».
Si l’ONG Business and Human Rights Resource Centre les recense, son Transition Minerals Tracker – la seule base de données existante en la matière – ne prend en compte que les filières de sept substances: aluminium, cobalt, cuivre, lithium, manganèse, nickel et zinc. Des données parcellaires, donc, mais qui donnent une idée de l’ampleur du phénomène: elles font état de 630 allégations de violation de droits humains de 2010 à 2023, dont 14% pour la seule année 2023.
Et elles représentent 2041 violations déclarées: «Une seule allégation peut faire état d’une problématique d’accès à l’eau potable et en même temps d’une pollution des sols», décrypte Aurore Stéphant. 26% concernent des violations des droits du travail, et20% sont liées à l’eau, comme «des problématiques d’accès ou de pollution», détaille l’ingénieure, avec «une eau dont la qualité est dégradée.» Autre fait inquiétant: 39% des entreprises minières qui ont une politique en matière de droits humains ont néanmoins fait l’objet d’au moins une allégation.
Les femmes, victimes invisibles
L’opacité n’est jamais bon signe pour les femmes, dans ce secteur tout particulièrement. «La vie minière s’est apparentée à un exercice de construction d’un environnement parfait pour le harcèlement sexuel», témoigne Aurore Stéphant. Ayant travaillé dans le secteur, elle décrit «une polarisation» entre «une masculinisation des activités minières et une féminisation des autres activités.» En clair, les femmes sont «redirigées soit vers des tâches subalternes que les hommes ne font pas, soit vers des activités agricoles ou de subsistance».
Sur les sites miniers, le harcèlement est monnaie courante. ActionAid (une association de solidarité internationale), dans un audit social de 2018 sur l’Afrique du Sud, rapporte que, d’après 40% des femmes interrogées, les emplois dans le secteur minier ne sont accessibles que par des faveurs sexuelles. Selon une enquête parlementaire de 2022 sur le harcèlement sexuel des femmes dans ce secteur d’activité en Australie-Occidentale, 74% des femmes ont témoigné d’actes de harcèlement, et 30% ont subi des propositions d’augmentation de salaires en échange de faveurs sexuelles.
Et les violences sexuelles n’ont pas lieu uniquement à l’encontre des femmes travaillant sur les sites miniers: elles touchent également celles qui vivent aux alentours. Le rapport de l’Organisation internationale du travail (OIT) de 2021 sur les femmes dans l’industrie minière tire des conclusions similaires: «Les normes et les inégalités préexistantes, combinées aux changements qui peuvent être apportés par l’activité minière, semblent donner lieu à une situation où la violence est un problème courant.» L’OIT pointe également «l’éloignement et l’isolement relatif des sites miniers (qui) rendent les femmes plus vulnérables à ces violences».
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La criminalisation et la répression s’accentuent
D’après Aurore Stéphant, «le plus grave, c’est certainement la situation dramatique des défenseurs des droits». Et ces personnes ou groupes de personnes protégeant les droits humains et environnementaux – à titre professionnel ou personnel et de manière pacifique selon la définition des Nations unies – sont de plus en plus criminalisées et réprimées.
En 2013, les mobilisations contre le projet de mine d’or à Skouries, en Grèce, ont été «durement réprimées», s’indigne l’ingénieure. À tel point qu’Amnesty International a demandé une enquête aux autorités grecques. «Il y a eu un usage disproportionné d’armes irritantes par les services policiers contre les manifestants dans la ville d’Ierissos, qui a conduit à des lésions cutanées dans certains cas.»
Dans le cadre d’une mission de terrain, l’association y a rencontré des élus locaux, riverains et militants: «Tous ont témoigné de la violence des mesures répressives prises lorsqu’ils manifestaient pacifiquement, y compris des mamans avec des poussettes qui ont dû partir en courant parce que l’usage de ces armes était extrêmement problématique pour leurs enfants.» Quelque 450 personnes ont été détenues six mois en prison, pour des motifs tels que l’obstruction au passage ou l’offense à agent.
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La mine de cuivre à ciel ouvert de Tintaya, au Pérou, a également été le théâtre de drames. Aurore Stéphant dénonce «la gravité des actes de répression». Deux paysans ont été tués, 18 personnes détenues arbitrairement «dans des locaux de police qui sont situés à l’intérieur du site minier, ce qui montre le lien intime entre force de sécurité privée, force de sécurité publique et industrie minière».
Des violations amenées à augmenter
Alors que la course aux ressources, notamment aux métaux déclarés critiques, s’accélère avec la transition énergétique, la situation des droits humains n’est pas près de s’améliorer. D’autant que notre modèle de développement «dépend intrinsèquement des ressources minérales. Il repose sur une croissance exponentielle de la production métallique», analyse la représentante de l’association SystExt. À titre d’exemple, depuis 1950, la production d’aluminium a été multipliée par 47.
Parallèlement se pose la question de la faiblesse réglementaire pour encadrer cet emballement. Avec une «problématique double», selon Aurore Stéphant: «Il y a le contournement de la loi, c’est-à-dire que des lois existent mais sont sciemment non prises en compte ou sont manipulées. Le deuxième enjeu, c’est l’allègement réglementaire» pour laquelle «il y a des demandes». À rebours de la seule solution qui, si l’on en croit Aurore Stéphant, permettrait de limiter la casse: «appliquer la loi», avec pour corollaire «des moyens humains et financiers» et des «sanctions en cas de non-respect».
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Sans pour autant parvenir à éviter tous les écueils. «Est-ce que ça nous permettra de passer du niveau actuel constaté à des entreprises ou des projets miniers durables?» interroge l’ingénieure. Sa réponse est sans appel: «Non. On va juste limiter les impacts, éviter que ce soit complètement la catastrophe que l’on décrit. Cela fera, peut-être, des mines supportables.» Un extractivisme à tous crins au détriment des populations, mais au bénéfice des industries.
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